Achat en primeur

Que signifie primeur ?

Le mot « primeur » dans le monde du vin recouvre deux sens bien différents.

On peut tout d’abord parler de vin primeur au sens de vin nouveau, comme le Beaujolais éponyme. Il s’agit d’un vin mis en bouteille très rapidement, après une fermentation la plus courte possible, et vendu avant la fin de l’année.

Dans le second sens, on parle d’achat en primeur : il s’agit d’acheter (intégralement, pas un simple acompte) un vin avant sa mise en bouteille, et donc évidemment avant de pouvoir la couver dans sa cave ou la déboucher avec des amis …

Ce procédé n’est pas généralisé, et concerne principalement les crus classés bordelais, ainsi que quelques domaines prestigieux du Rhône et de la Bourgogne. On ne parle donc que d’environ 300 « châteaux », à comparer par exemple aux 10 000 propriétés viticoles qui existent sur Bordeaux.

Les vins concernés sont ceux dont l’élevage (la conservation en fûts au domaine) est long, de l’ordre de 24 mois. Lorsque vous achèterez en primeur au printemps 2016 votre caisse annuelle du château Lafite-Rothschild millésime 2015, vous n’en verrez la couleur que fin 2017 !
Ne partez pas en pleurant tout de suite, cette caisse de 12 ne devrait pas vous coûter plus de 15000€ …

Quels sont les avantages du système d’achat en primeur ?

  • Pour l’acheteur, le prix proposé en primeur est plus faible que celui pratiqué lors de la mise sur le marché définitive. Certains achètent donc en primeur avec une idée spéculative derrière la tête, espérant revendre et faire une plus-value 18 mois plus tard.
  • Pour le domaine, la vente en primeur permet de bénéficier d’une avance (ou plutôt d’un « non-retard ») de trésorerie

Ouah mais c’est génial alors ce système, c’est gagnant/gagnant ?

Disons que c’est surtout gagnant pour le château 🙂 Pour le client, tout dépend du prix réel de sortie du vin 18 mois plus tard. On peut avoir de bonnes surprises, mais on peut aussi retrouver les mêmes bouteilles à des prix plus faibles en Foire Aux Vins, quelques années plus tard. Le seul avantage dans ce cas, c’est que l’achat en primeur permet d’être certain des conditions de conservation des vins, alors que les bouteilles vendues en FAV ont peut-être fait trois fois le tour du monde à bord de porte-conteneurs en plein soleil …

Le prix de vente en primeur est décidé sur la base de l’appréciation des professionnels (critiques, journalistes, négociants – voir ci-dessous …) qui viennent déguster le « bébé-vin » alors qu’il n’affiche que 6 mois de barrique. Au cours de son élevage dans les 18 mois qui suivent, ce vin évolue, et pas toujours de la manière dont les « experts » l’avaient anticipé. Si à sa sortie le vin se présente sous un moins bon jour que prévu, le prix de mise sur le marché peut sensiblement chuter …

Les plus geeks d’entre vous pourront s’amuser à consulter le site de Bertrand Leguern, qui entre autres pépites propose cette page comparant les prix en primeur et les prix moyens observés en FAV. On y voit que ceux qui ont acheté des Mouton-Rothschild 2009 en primeur ont plutôt fait une mauvaise affaire, avec une décôte de l’ordre de 15%, alors que les bienheureux qui avaient acheté Ausone 2003 à 340€ ont virtuellement multiplié leur « portefeuille » par 4.

Bref, comme en Bourse, l’issue est plus ou moins aléatoire. Mais c’est une bonne chose : le vin c’est fait pour être bu, pas pour spéculer 🙂

Comment procède-t-on pour acheter en primeur ?

Il est nécessaire de revenir sur la façon dont ces vins sont vendus sur la place de Bordeaux (c’est l’expression consacrée) : un acheteur lambda ne peut se pointer à la grille d’une propriété huppée et espérer pouvoir y acheter 1 ou 2 bouteilles, comme chez quasiment tous les autres vignerons de la planète. Non, à Bordeaux, on achète auprès d’intermédiaires qu’on appelle les négociants. Chaque négociant dispose auprès du domaine d’une allocation, c’est-à-dire d’un certain nombre de bouteilles qui lui sont réservées.

Ce système d’allocations a le mérite de stabiliser les relations château/négociant, même si l’équilibre de cette relation dépend évidemment de la bonne santé du marché. Dans un secteur soumis à une forte demande, ce qui est le cas du marché du vin de prestige depuis une trentaine d’années, on imagine aisément que les domaines jouent sur du velours, et les négociants suivent, nolens volens : même si le millésime est moyen, le domaine « force » indirectement le négociant à acheter l’intégralité de son allocation, sous peine de lui diminuer (voire de lui supprimer) son allocation l’année suivante.

1 Comments

  1. Merci Eric pour cet exposé sur les primeurs.

    J’ajouterais un aspect qui a son importance, à savoir que l’achat se fait souvent auprès d’un intermédiaire (caviste notamment). Il faut donc prendre beaucoup de précautions avant l’achat, puisque la véritable vente se fera 18 mois plus tard (en réglant la TVA) et il peut arriver des déconvenues, si entre-temps le caviste n’existe plus.

    On sait avec l’affaire 1855 qui faisait des primeurs un énorme système de cavalerie, que beaucoup de clients ont été floués, n’ont jamais reçu leurs vins et n’ont plus, aujourd’hui, que leurs yeux pour pleurer, car la société est en liquidation.

    Sur ces aspects plus ou moins juridiques, j’avais fait un petit commentaire il y a quelques temps que je me permets de mettre en lien.

    http://www.vavasseur-avocatversailles.fr/index.php/blog/29-achat-de-vin-en-primeur-il-faut-prendre-des-precautions

    PS : on peut trouver quelques primeurs en Languedoc-Roussillon : je pense à Mas Laval, Daumas Gassac, Bizeul …

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