Amélie Nothomb : « Je mets le champagne infiniment au-dessus de toutes les drogues »A. N. : Je suis née quand mon père était consul de Belgique au Japon. Dans toutes les ambassades de la terre, l’eau c’est le champagne et le fournisseur de la Belgique était à l’époque Laurent-Perrier, il y a pire. Mes parents recevaient mille personnes par mois. Je n’étais pas invitée à ces réceptions, mais je n’en étais pas exclue. Petite, je passais à quatre pattes au milieu des gens, personne ne me chassait, ne me parlait, je faisais partie des meubles et j’avais remarqué que les adultes buvaient quelque chose de très intéressant. À l’âge de deux ans et demi, j’ai saisi une flûte et j’ai bu ce qu’il en restait. Je ne savais pas ce que c’était, mais ça m’a enchantée. C’est là qu’a commencé une longue carrière de finisseuse de flûtes qui a bercé mon enfance. Je ne le faisais pas en cachette, ça n’était pas mal vu. Très vite le contrat avec mes parents fut ainsi : « Ma fille, du moment que tu es la première de la classe, tu fais ce que tu veux. » Je pense que j’y ai souscrit pour pouvoir continuer à boire au cours des réceptions, de manière aussi discutable et si peu discutée.
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Quel (sic) place le champagne tient-il dans votre œuvre ?
A. N. : Une place colossale. Il est à la fois la condition, le but, le ton, le Graal, la récompense, le réconfort. L’essentiel de mes droits d’auteur est dépensé pour l’achat de belles bouteilles. Cependant je n’écris pas sous l’effet du champagne, j’ai essayé, ça ne donne rien. Pour écrire ces petits livres de rien du tout il faut un contrôle absolu. J’ai une grande règle, jamais de champagne avant midi. Tout ce qui tient lieu d’écriture se déroule avant.
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Le champagne est une drogue ?
A. N. : Bien sûr, pour moi ç’en est une. Bien plus belle et plus agréable que les autres. Quand au sortir de ces nuits j’atterrissais dans l‘aube amazonienne, c’est le champagne que je désirais profondément, intensément. J’aurais alors donné ma vie pour du champagne.